Mais cette conception du métier semble se craqueler sous l’effet des nouvelles technologies. En effet, à partir du moment où une technologie peut effectuer une partie des actions que j’avais l’habitude de mener, réduisant ainsi mon métier comme peau de chagrin, qu’en reste-t-il ? Par ailleurs, à partir du moment où ce que je maîtrise est « périmé » et ne correspond plus à la réalité du monde, puis-je encore bénéficier d’une reconnaissance sociale ? A l’inadéquation grandissante des métiers (qui nécessite une véritable réinvention de ces derniers) s’ajoute leur obsolescence, qui est de plus en plus rapide. La question se pose alors : les métiers existeront-ils encore demain ?
La réponse est oui, mais il est nécessaire de réinventer ce que l’on entend par « métier » et ainsi passer à une définition moins statutaire et à une conception plus contextuelle. En effet, ce sera de plus en plus le contexte professionnel (le projet d’un client, par exemple), socio-économique (l’évolution des besoins et des contraintes du marché, notamment), sanitaire, démographique, environnemental ou encore technologique qui déterminera et qui façonnera l’activité.
L’expertise professionnelle sera une pâte à remodeler sans cesse pour s’adapter aux nouvelles réalités. Demain, il n’y aura plus vraiment de formation dispensée une fois pour toute : c’est tout un socle de compétences qui sera plutôt transmis, parmi lesquelles « apprendre à apprendre ». Apprendre à apprendre pour s’adapter, pour se réinventer, pour désapprendre, pour oublier, pour décider, pour trier les informations et pour construire ses connaissances. C’est ce socle de compétences, enseigné par des professeurs d’un nouveau genre, qui me permettront d’acquérir toutes les connaissances dont j’aurai besoin pour remplir telle ou telle mission.
Ce socle de compétences est notamment composé de quatre métacompétences, véritables guides pour les comportements et les actions, fondamentales pour les métiers de demain :
Prendre soin de.
Cela consiste à être capable de mobiliser ses capacités attentionnelles pour observer, décrire et évaluer la qualité de ses interactions avec ses collègues, ses clients, ses partenaires, ses projets et son environnement au sens large. En prêtant attention aux relations entre les acteurs, il est possible de créer de meilleurs équilibres socioprofessionnels – une responsabilité qui incombe à chacun d’entre nous. Cela peut par exemple prendre la forme de rituels d’équipe dédiés au partage des ressentis et des appréhensions concernant les situations professionnelles passées et futures.
Il s’agit de savoir développer des intrigues qui créent des ponts entre des éléments différents, suscitent des attentes, font espérer des prolongements et orientent vers l’action. Par exemple, aborder un projet, son contexte, ses objectifs et ses acteurs par le biais d’un récit dystopique permet d’identifier les principaux risques et de s’organiser pour les prévenir.
Construire des récits.
Créer du sens.
Il est nécessaire de rapprocher et de mettre en correspondance les représentations mentales des différents acteurs. Par exemple, au sein d’une équipe, il convient d’identifier les croyances, les idées reçues, les souvenirs et autres représentations mentales de chacun, de distinguer celles qui convergent et celles qui divergent, de fabriquer des images permettant d’englober les représentations divergentes ou de créer des ponts entre elles et, enfin, de construire de nouvelles représentations mentales collectives. Par exemple, dans le cadre de réflexions sur l’expérience, avec le client ou le collaborateur, il s’agit de savoir exprimer son rapport à des objets ou des services du quotidien et le confronter aux perceptions des autres, afin de créer du sens commun.
La mise en réseau des informations doit s’accompagner d’une mise en réseau des compétences et des expériences (lire aussi la chronique : « Les quatre métacompétences du futur »). Il s’agit aussi bien pour chaque acteur de contribuer au réseau que de mettre en lumière les relations et les interactions qui structurent le travail collaboratif d’un collectif d’acteurs. Cela peut par exemple se matérialiser par la construction d’interfaces ouvertes permettant le partage des ressources entre les collaborateurs au sein de l’entreprise.
Evoluer vers des réseaux collaboratifs.
Le fait de se concentrer sur les compétences et le contexte change la donne. Le CV de demain sera un « CV augmenté » mettant en évidence, à l’instar d’un portfolio, les projets, les expériences et les compétences de l’individu, plutôt que ses diplômes. Ces derniers nous disent ce qu’un individu a su faire à un instant t, mais ils ne nous disent pas ce que ce même individu sera capable de faire à un autre instant et dans un autre contexte. Outre la révolution que cela induit en matière de formation, cette évolution permet de mettre fin à une certaine discrimination socio-économique et culturelle. Si le potentiel de chacun en matière de flexibilité mentale, de créativité ou d’attention est inégal, chacun peut en effet s’y entraîner, comme on entraîne un muscle : c’est ce qu’on appelle l’entraînement cognitif.