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L’attention

Interview avec Jean-Philippe Lachaux

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Alexandre Beaussier

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Le contexte

Nous avons récemment eu la chance de passer une petite heure passionnante avec Jean-Philippe Lachaux sur le sujet de l’attention.

Jean-Philippe Lachaux est ancien élève de l’École polytechnique, il est directeur de recherche en neurosciences cognitives au sein de l’unité « Dynamique Cérébrale et Cognition » de l’INSERM à Lyon. Grand spécialiste de l’attention, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont “Le Cerveau attentif. Contrôle, maîtrise et lâcher-prise”, “Le Cerveau funambule. Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences”, “Les petites bulles de l’attention. Se concentrer dans un monde de distractions” et “La magie de la concentration. Un parcours ludique et initiatique”.

L'attention, une capacité qui sélectionne

On parle beaucoup d’attention, c’est un sujet important pour beaucoup de monde en ce moment, mais comment est-ce que toi tu définis l’attention ?

L’attention, c’est le mécanisme qui permet de remédier à la capacité de traitement limitée du cerveau humain. C’est à dire que l’on ne peut pas appréhender tout ce qui arrive au niveau de nos sens, même chose pour tous les phénomènes mentaux qui peuvent apparaître, donc il y a un principe de sélection de ce qui, à un moment donné, est le plus important pour l’organisme.

Cette sélection se fait selon plein de critères, c’est pour ça que parfois, on a un problème de maîtrise de son attention. Mais c’est vraiment au départ une sélection, l’attention, c’est vraiment un resserrement de la perception sur certains éléments qui sont a priori les plus importants à un moment donné.

Selon toi, quels sont les enjeux actuels vis-à-vis de l’attention ? Et notamment penses-tu, comme un certain nombre de philosophes, de sociologues, ou de personnes actives dans les technologies qu’il y a un véritable risque pour l’attention liés à l’usage que l’on fait des technologies ?

Alors là justement mon attention vient d’être happé par un petit message qui m’indique que je n’ai plus que vingt pour cent de batterie. Information utile ou pas ? Peut-être, surtout que j’étais à 44% il y a 2 minutes donc il y aura peut-être une petite interruption pour que j’aille me brancher.

La question qui se pose c’est celle du contrôle de notre propre attention. L’attention, c’est elle qui va déterminer notre vie mentale à chaque instant. Il faut donc se poser les questions suivantes : qu’est-ce qui occupe mon esprit ? Est-ce que mon attention et ce sur quoi se pose mon attention est décidé par moi-même ou est décidé de l’extérieur ? Évidemment, c’est toujours une balance entre les deux.

C’est toujours une balance entre deux contrôles et je ne peux pas avoir l’impression d’avoir une maîtrise parfaite de mon attention. Là, on voit exactement ce qu’il s’est passé. Une alerte a attiré mon attention, donc elle était d’une certaine façon manipulée depuis l’extérieur et c’est toujours un jeu de manipulation entre ce que je décide moi et ce qui est décidé depuis l’extérieur.

On n’a donc pas une maîtrise totale de son attention puisque n’importe quel événement extérieur peut potentiellement la capturer. Il y a dans notre système attentionnel ce que j’appelle des failles, c’est-à-dire des moyens de le manipuler, parce que tout ce qui est saillant va avoir tendance à attirer l’attention, parce que tout ce qui résonne avec nos intérêts du moment, l’appartenance sociale, etc… va attirer notre attention.

L’attention peut donc être contrôlée de l’extérieur et pas forcément dans le sens d’une plus grande liberté, pas forcément pour notre épanouissement à long terme. Et puisqu’on ne peut pas vendre quelque chose à quelqu’un si on n’a pas son attention, il faut que la personne fasse attention au produit pour déclencher une envie d’achat, capter l’attention est vraiment devenu un enjeu économique.

Les moyens technologiques actuels permettent d’être beaucoup plus efficace dans la captation de l’attention d’un individu, et c’est de ça dont il faut un petit peu se méfier pour l’instant. Donc effectivement, il y a un réel danger et je pense qu’il y a urgence d’expliquer aux gens comment fonctionne leur attention, quelles sont ces failles et comment éventuellement reprendre le contrôle.

Comprendre les mécanismes de captation

Tu es très actif dans le cadre d’initiatives visant à développer l’attention, particulièrement à l’école auprès des enfants, peux-tu nous en dire un peu plus ? Et notamment comment cela leur permet de mieux la contrôler ?

Effectivement, ce que j’essaie de faire en France, c’est d’utiliser le savoir, le corpus de connaissances des neurosciences cognitives, la psychologie cognitive d’ailleurs, pour ramener ça dans une forme simple qui explique aux enfants, en quelques séances assez rapides, comment fonctionne leur attention.

L’idée c’est qu’il y ait une prise de conscience, un recul, pour voir l’attention en mouvement et voir les forces qui s’exercent sur elle. Qu’ils n’abordent pas n’importe quelle activité, déjà sans savoir ce qu’est l’attention, voire même en ayant l’idée naïve que c’est eux qui décident de ce qu’ils pensent et de ce à quoi ils font attention. C’est pour que justement ils soient capables d’observer ces mécanismes de captation de l’attention depuis l’extérieur.

Ce n’est pas une opération de rébellion contre les GAFA, ça va au-delà de ça, c’est reprendre le contrôle de sa vie mentale plus généralement. Ce n’est donc pas dégager d’un revers de main tout ce que nous apporte les nouvelles technologies en disant c’est pas bien, c’est pas utile, il faut revenir à l’âge de pierre, c’est plutôt se dire qu’il y a un joli fromage, mais que parfois il y a un piège avec le fromage, une sorte de piège à souris et qu’il y a moyen d’apprendre à prendre le fromage sans se faire prendre au piège.

Il y a énormément de choses merveilleuses qui sont apportées par tous ces développements technologiques et qu’il est bien de savoir les utiliser sans forcément se laisser aspirer et perdre le contrôle.

Est-ce pour cette raison Jean-Philippe que tu as utilisé d’autres moyens que les technologies pour approcher cette question avec les enfants ? J’avais lu par exemple ta BD qui s’appelait Petite bulle de l’attention qui était très sympa, et puis il me semble que tu interviens plutôt en présentiel auprès des enfants ?

Oui alors en fait il y a plusieurs raisons à ça et ce n’est pas forcément un parti pris.

C’est d’abord parce que ça s’adresse au plus grand nombre et que je me retrouve dans des endroits où les gens n’ont pas forcément accès aux technologies qu’il faudrait pour pouvoir développer cette éducation de l’attention donc j’aime bien faire aussi des choses très papier-crayon. Parce que c’est pratique et qu’avec deux bouts de sopalin on peut faire passer des notions sur l’attention.

Après fatalement et là encore faut pas être idiot, faut pas être borné, en termes de réplication, de diffusion de ses idées au plus grand nombre, le changement d’échelle est parfois compliqué surtout quand on se base uniquement sur le présentiel. Donc ça peut être intéressant quand il faut, d’avoir recours au numérique qui permet ce qu’on appelle une réplication sans perte de qualité, ça permet de faire diffuser certaines idées simples au plus grand nombre et de façon assez fidèle. Il faut vraiment faire feu de tout bois, il n’y a pas un parti pris à revenir à l’ancienne.

Contrôler l'attention par la réflexion

À côté de ces initiatives pédagogiques pour expliquer l’attention, tu travailles aussi sur les capacités attentionnelles, notamment la concentration, cette capacité à mobiliser son attention sur des tâches ou des informations en particulier. Quelle forme est-ce que cela prend ?

Effectivement, ATOLE est construit en deux parties : une première partie sur la métacognition, c’est-à-dire je comprends comment je fonctionne, c’est un petit peu ce que je viens de décrire, et la deuxième partie qui est beaucoup plus sur des outils. Les outils, ce sont vraiment des outils de bon sens en fait. Par exemple, on ne peut pas demander à un enfant de faire attention, sans lui dire à quoi il doit faire attention. Si on n’a pas réfléchi à ce à quoi on doit faire attention, sur quoi je dois poser mon attention quand j’aborde une activité, quelle est la cible la plus utile, là où il y a les informations qui sont réellement importantes, le type de sensations que je dois développer; si on n’a pas fait ce travail de réflexion sur les cibles, évidemment on ne va pas bien loin.

Si on n’a pas expliqué ce que ça voulait dire que de se concentrer tout simplement, un enfant ne sait pas forcément ce que ça veut dire que de se concentrer, ce qu’il doit faire concrètement. Donc il y a cet aspect-là qui occupe la deuxième partie du programme afin de développer une forme de robustesse à la distraction.

Cette distraction, cette captation de l’attention, sans forcément qu’il y ait de mauvaises intentions derrière, c’est aussi quelque chose qui est très présent dans le monde de l’entreprise avec les phénomènes d’infobésité, on se sent parfois écrasé par la masse d’informations avec laquelle on a à faire face. Quelles pistes, quelles techniques peuvent selon toi être mises en œuvre pour mieux faire le tri et mieux choisir les sujets sur lesquels on porte notre attention ?

Pour l’infobésité, j’aime bien prendre l’image de la nourriture parce que finalement ça fonctionne un petit peu de la même manière, c’est une question de stimulation des circuits de la récompense. Tout ce que l’on nous apporte sur le plan numérique, c’est comme un énorme buffet, il y a de la pizza, des sushis, de tout et spontanément on va essayer de goûter à tout, de tout manger et de ne rien perdre, car tout simplement c’est là et il faut que j’en profite. On est un peu comme ça, surtout quand tout est gratuit. Et j’aimerais arriver à développer, surtout chez les jeunes, un petit pas de recul consistant à choisir ce que l’on se donne à manger. Ce soir, j’ai envie de goûter les sushis et tant pis pour la pizza.

Ça veut dire revenir au statut premier de l’intention, avoir une intention claire, qu’est-ce que je cherche à faire finalement ? Qu’est ce qui est important pour moi ? Mais même dans les minutes qui viennent et donc ça va donner le développement de petites bulles de concentration. On évolue avec une seule intention claire, là en ce moment et pour les cinq minutes qui viennent, ce qui est vraiment important pour moi, c’est ça.

L’intention, elle va aider à faire le tri entre ce qui est important et ce qui n’est pas important, elle va aider à se concentrer, puis en cinq minutes on fait énormément de choses : on peut lire deux pages d’un bouquin, on peut lire un certain nombre de mails, … et rien que le fait de déjà savoir ça et puis après de les enchaîner, même avec des petites pauses, c’est déjà pas mal.
Et toujours ce statut de l’intention, la prise de recul, là je viens de me faire quatre épisodes d’une série Netflix, stop, prise de recul : quelle est mon intention ? Pourquoi est-ce que je veux en regarder un cinquième ? Est-ce que c’est vraiment ce qu’il y a de plus important pour moi.

Donc cette réflexion, cette prise de recul, où est ce que je veux en être dans 10 minutes, c’est un des ressorts qui va nous aider.

Prendre conscience de la temporalité de nos actions

On vient donc de parler de comment on peut nous-mêmes mieux contrôler notre attention, mieux filtrer les informations qui nous environnent, et je voulais aborder avec toi le sujet de l’écologie de l’attention. Comment est-ce que chacun d’entre nous peut y contribuer ?

Il y a plein de petites choses qu’on peut faire, une fois qu’on a compris les ressorts de ce qui attire l’attention et de ce qui déstabilise l’attention pour soi, on le comprend pour l’autre.

Par exemple, on ne va pas forcément arriver dans un open space et puis s’adresser directement à quelqu’un ou balancer des messages à tour de bras, il y a une certaine hygiène de l’attention, on respecte l’attention de l’autre. Là, j’ai besoin de ton attention, est-ce que c’est le bon moment ? J’aurais besoin de tant de minutes de ton attention, est ce que c’est maintenant ou est-ce que c’est dans trois minutes ?

C’est tout bête mais il y a une grande difficulté à passer d’une tâche à une autre, ça prend toujours du temps et on sait que les interruptions coûtent du temps parce qu’il faut se remettre en tête tout ce qu’on faisait avant, et donc au moment où on s’y remet aussi ça prend du temps.

Lorsque l’autre est complètement engagé comme un TGV lancé à pleine vitesse dans son activité et que l’on doit l’interrompre, le fait de lui laisser quelques minutes juste pour noter ce qu’il aurait fait s’il avait eu cinq minutes de plus peut tout changer. J’ai besoin de ton attention, je sais que je t’interromps donc prends le temps qu’il faut pour noter sur un bout de papier ce que tu aurais fait tout de suite. Rien qu’avec cela, la personne aura beaucoup plus de facilité à se remettre dans sa tâche puisqu’il lui suffira de relire ce qu’elle avait noté.

Ce sont des choses comme ça, c’est pas exiger l’attention de l’autre immédiatement, comme si ce qu’on lui proposait était beaucoup plus important que ce qu’elle était en train de faire à ce moment-là. Et ça, c’est vraiment au niveau de l’organisation de l’entreprise c’est-à-dire que c’est aux managers eux-mêmes d’adopter ce respect de l’attention de leurs collaborateurs.

Par exemple, il faut prendre conscience du fait qu’il y a certains types de tâches qui ne peuvent être faites qu’au calme, donc si on est dans une organisation du travail dans laquelle il y a un peu de télétravail dans la semaine, on peut donner des choses à faire, si possible, suffisamment à l’avance pour que la personne puisse organiser et faire ce travail qui demande beaucoup de concentration. C’est des tas de petites choses, c’est du respect de l’attention, tout simplement.

Dans notre enquête Attention!, nous avons cherché à mettre en lumière nos sujets d’attention communs et la manière dont ils s’organisent entre eux, nous avons ainsi pu représenter nos propres systèmes attentionnels dans le but de pouvoir reprendre la main dessus, qu’est-ce que cela t’inspire ?

Ça me fait tout de suite penser à ce que l’on appelle l’attention conjointe, il est effectivement toujours plus facile de faire attention à un sujet qui est important pour le groupe dans lequel on est. C’est tout bête mais c’est le départ. Vous êtes dans le bus, tout le monde tourne la tête pour regarder par la fenêtre, ça vous incite à regarder par la fenêtre. C’est parce que si c’est important pour tous les autres, il y a des chances que ce soit important pour moi.

Donc attention conjointe, c’est intéressant de savoir ce qui occupe l’esprit d’un groupe à un moment donné, parce que chaque individu va avoir tendance à s’y conformer et ça permet de prédire les patterns attentionnels.

L’autre chose, c’est que si vous savez ce qui occupe mon esprit à un moment donné, les choses auxquelles j’ai tendance à penser, et si vous me présentez quelque chose qui parle de ça, ça va avoir tendance à davantage attirer mon attention.
Le fait de savoir ce qui occupe globalement la tête de d’un groupe de personnes, là encore, permet de savoir comment leur parler pour justement avoir leur attention.

Attention! l'enquête

Les 9 sujets d’attention sont les 9 facteurs sur lesquels les français portent leur attention actuellement.

Pour agir sur nos attentions et évoluer vers de nouvelles capacités d’apprentissage, de création et de collaboration, nous avons besoin de mesurer ces attentions, de les croiser, de les visualiser et de les discuter. Après une première étape d’expression libre qui nous a permis de construire 5 questionnaires thématiques, vous avez été plus de 2300 à vous positionner sur ces questionnaires. C’est donc à partir de plus de 5000 réponses que nous avons pu construire des cartographies inédites des attentions des français, et celles-ci sont pleines de surprises et d’enseignements…

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